20- LE TESTAMENT DE RAMPA

LE MESSAGE DE RAMPA

Le troisième œil
(©1984. Stanké-Arnaud Immelé => pages 153 à 162 Extrait 35)
les boules de cristal

    Le jour mourut et ce fut la naissance du soir. Je me rendis dans la petite chambre d'où je ne devais pas sortir. Des bottes de feutre souple glissèrent doucement sur les dalles du corridor et trois lamas de haut rang entrèrent dans la pièce. Ils posèrent une compresse d'herbes sur mon front, qu'ils maintinrent en place par un bandage serré. Ils ne devaient revenir que plus tard dans la soirée. Le Lama Mingyar Dondup était l'un d'entre eux. La compresse fut enlevée et mon front nettoyé et essuyé. Un lama taillé en hercule s'assit derrière moi et me prit la tête entre ses genoux. Le deuxième ouvrit une boîte d'où il sortit un instrument d'acier brillant. Cet instrument ressemblait à une alêne, si ce n'est que son évidement au lieu d'être rond était en forme d'U et que sa pointe était finement dentelée. Après l'avoir examiné, le lama le stérilisa à la flamme d'une lampe.

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    — L'opération va être très douloureuse, me dit mon Guide en me prenant les mains et il est indispensable que tu aies toute ta connaissance. Ce ne sera pas long. Efforce-toi par conséquent de rester aussi calme que possible.

    J'avais sous les yeux un véritable assortiment d'instruments et une collection de lotions d'herbes. « Eh bien, Lobsang, mon garçon, pensai-je, ils vont te régler ton compte, d'une façon ou d'une autre... Tu n'y peux rien, si ce n'est de rester tranquille ».

    Le lama qui tenait l'alêne jeta un coup d'oeil aux autres :

    — Prêts ? Allons-y, le soleil vient juste de se coucher.

    Il appliqua la pointe dentelée sur le milieu de mon front et fit tourner le manche. Une minute, j'eus l'impression d'être piqué par des épines. Le temps me parut s'arrêter. La pointe perça ma peau et pénétra dans ma chair sans me faire autrement souffrir, mais quand elle heurta l'os, il y eut une légère secousse. Le moine accentua sa pression, tout en remuant légèrement l'instrument pour que les petites dents puissent ronger l'os frontal. La souffrance n'était pas aiguë : rien qu'une simple pression accompagnée d'une douleur sourde. Je ne fis pas un mouvement car le Lama Mingyar Dondup me regardait : j'aurais préféré rendre l'âme plutôt que de bouger ou de crier. Il avait confiance en moi comme j'avais confiance en lui, et je savais qu'il ne pouvait qu'avoir raison dans tout ce qu'il faisait ou disait. Il surveillait l'opération de très près ; de légères contractions aux plis des lèvres trahis-

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saient la tension de son esprit. Tout à coup, il y eut un craquement léger : la pointe avait pénétré dans l'os. Immédiatement le lama-chirurgien qui était sur le qui-vive cessa d'appuyer. Il garda solidement en main la poignée tandis que mon Guide lui passait un éclat de bois très dur, d'une propreté parfaite, traité au feu et aux herbes pour lui donner la dureté de l'acier. Il inséra cet éclat dans le U de l'alêne et le fit glisser jusqu'à ce qu'il arrive en face du trou pratiqué dans mon front. Puis, il se poussa légèrement de côté pour que mon Guide puisse se placer en face de moi ; sur un signe de lui, il fit avancer, avec des précautions infinies, le morceau de bois de plus en plus profondément dans ma tête. Soudain, j'eus la curieuse sensation qu'on me piquait,  qu'on me chatouillait l'arête du nez. Cette sensation disparut et je devins conscient de certaines odeurs légères que je ne pus identifier. Ces odeurs disparurent à leur tour, et j'eus l'impression de pousser un voile élastique ou d'être poussé contre lui. Brusquement, je fus aveuglé par un éclair.

    — Arrêtez ! ordonna le Lama Mingyar Dondup. Un instant la douleur fut intense, elle me brûlait comme une flamme blanche. La flamme diminua d'intensité, mourut et fut remplacée par des volutes colorées, et des globes de fumée incandescente. L'instrument de  métal fut délicatement retiré. L'éclat de bois devait rester en place pendant deux ou trois semaines, que j'allais passer dans cette petite pièce plongée dans une obscurité presque totale. Personne ne serait admis à me voir, à l'excep-

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tion des trois lamas qui, jour après jour, continueraient à m'instruire. Tant que le bois n'aurait pas été enlevé, on ne me donnerait en fait de nourriture et de boisson que juste ce qu'il fallait pour me maintenir en vie.

    — Tu es maintenant des nôtres, Lobsang, me dit mon Guide, au moment où on m'entourait la tête d'un bandeau pour maintenir l'éclat de bois. Jusqu'à la fin de ta vie, tu verras les gens tels qu'ils sont et non plus comme ils font semblant d'être. C'était une expérience curieuse que de voir ces trois lamas baigner dans une flamme dorée. Plus tard seulement, je compris qu'ils devaient cette aura dorée à la pureté de leurs vies, et qu'il fallait s'attendre à ce que celle de la plupart des gens ait un tout autre aspect.

    Quand ce nouveau sens se fut développé sous l'habile direction des lamas, je découvris l'existence d'autres émanations lumineuses qui ont leur source dans le centre de l'aura. Par la suite, je devins capable de diagnostiquer l'état de santé de quelqu'un d'après la couleur et l'intensité de son aura. De même la façon dont les couleurs s'altéraient me permettait de savoir si l'on me disait la vérité ou si l'on me mentait. Mais ma clairvoyance n'eut pas le corps humain pour seul objet. On me donna un cristal que je possède encore et avec lequel je m'exerçais fréquemment. Il n'y a rien de magique dans ces boules de cristal. Ce ne sont que des instruments. Un microscope ou un télescope permettent, par le jeu de certaines lois naturelles, de voir des objets qui normalement

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sont invisibles. Il en va de même pour les boules de cristal. Elles servent de foyer au Troisième Œil avec lequel il est possible de pénétrer dans le subconscient des êtres et de se souvenir des faits qu'on y glane. Tous les types de cristal ne conviennent pas à tout le monde. Certains obtiennent de meilleurs résultats avec le cristal de roche, d'autres préfèrent une boule de verre. D'autres encore utilisent un bol d'eau ou un simple disque noir. Mais quelle que soit la technique employée, le principe reste le même.

    Pendant la première semaine qui suivit l'opération, la chambre fut maintenue dans une obscurité presque complète. À partir du huitième jour, on laissa entrer une très faible lumière, qui augmenta progressivement. Le dix-septième jour, la lumière était normale et les trois lamas arrivèrent pour enlever l'éclat de bois. Ce fut très simple. La veille, mon front avait été badigeonné avec une lotion à base d'herbes. Comme le soir de l'opération, un lama me prit la tête entre ses jambes. Avec un de ses instruments, le lama qui m'avait opéré saisit l'extrémité de l'éclat. Une violente secousse et tout était terminé, le bois était retiré de ma tête. Le Lama Mingyar Dondup appliqua alors une compresse d'herbes sur le minuscule trou qui me restait au front et me montra l'éclat qui était devenu noir comme de l'ébène. Le lama-chirurgien  se tourna ensuite vers un petit brasero où il le fit brûler avec différentes sortes d'encens. La fumée du bois mêlée à celle de l'encens monta vers le plafond : la première phase de mon initiation était terminée. Cette nuit-là, un tourbillon de pensées se

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pressait dans ma tête quand je m'endormis : comment verrais-je Tzu maintenant que ma vision des êtres n'était plus la même ? Et mon père, et ma mère, quelle serait leur apparence ? Autant de questions qui devaient provisoirement rester sans réponses.

    Les lamas revinrent le lendemain matin et procédèrent à un examen très approfondi de mon front. Ils décidèrent que je pouvais retourner auprès de mes camarades, mais que je passerais la moitié de mon temps avec le Lama Mingyar Dondup qui allait intensifier mon instruction à l'aide de certaines méthodes.  L'autre moitié serait consacrée aux classes et aux offices, non pas tant pour leur valeur éducative mais pour me donner une conception équilibrée des choses. Un peu plus tard, l'hypnotisme serait également utilisé pour  m'instruire. Mais sur le moment, je ne pensais qu'à manger ! J'avais été à la portion congrue pendant dix-huit jours et je comptais bien me rattraper. Je quittai donc les lamas en toute hâte, avec cette seule pensée en tête. Mais dans le corridor, j'aperçus une silhouette   enveloppée d'une fumée bleue, parsemée de taches d'un rouge violent. Je poussai un hurlement de terreur et rentrai précipitamment dans la chambre. Les lamas me regardèrent avec étonnement ; j'étais plus mort que vif.

    — Un homme est en train de brûler dans le corridor, dis-je.

    Le Lama Mingyar Dondup sortit en trombe. Quand il revint, il souriait.

    — Lobsang, me dit-il, ce n'est qu'un balayeur

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qui s'est emporté. Son aura est comme une fumée bleue parce qu'il n'est pas évolué. Les taches rouges, ce sont ses pensées coléreuses. Tu peux repartir sans crainte à la recherche de cette nourriture dont tu as tellement envie.

    Ce fut une expérience fascinante que de revoir les garçons que je croyais connaître si bien alors que je ne les connaissais pas du tout. Je n'avais qu'à les regarder pour lire leurs véritables pensées, l'affection authentique, la jalousie ou l'indifférence que je leur inspirais.

    Il ne suffisait pas de voir les couleurs pour tout savoir ; il fallait aussi apprendre à les interpréter.

    Pour cela, mon Guide et moi nous nous installions dans un endroit tranquille d'où nous pouvions observer les gens qui entraient par les portes principales.

    — Lobsang, me disait le Lama Mingyar Dondup, regarde l'homme qui arrive... Vois-tu le fil de couleur qui vibre au-dessus de son cœur ? Cette couleur et cette vibration sont les signes d'une affection pulmonaire.

    Ou bien à propos d'un marchand :

    — Regarde ces bandes qui bougent et ces taches qui clignotent... Notre Frère Homme-d'affaires est en train de penser qu'il peut rouler ces imbéciles de moines, il se souvient qu'il y est déjà arrivé. Pour de l'argent, les hommes ne reculeraient devant aucune petitesse !

    Ou encore :

    — Examine ce vieux moine, Lobsang. Voici un saint dans toute l'acception du terme, mais il prend tout ce que disent nos Écritures au pied de

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la lettre. As-tu remarqué combien le jaune de son aura est décoloré ? C'est qu'il n'est pas suffisamment évolué pour raisonner par lui-même.

    Et ainsi de suite, jour après jour. Mais c'est surtout dans nos rapports avec les malades, malades du corps ou malades de l'esprit, que le pouvoir donné par le Troisième Œil nous était utile.

    — Plus tard, me dit un soir le Lama, nous t'apprendrons à fermer le Troisième Œil à volonté, car il serait intolérable d'avoir toujours devant les yeux le triste spectacle des imperfections humaines. Mais, pour le moment, sers-t'en constamment, comme tu te sers de tes yeux physiques. Nous te montrerons ensuite comment l'ouvrir et le fermer aussi facilement que les autres.

    Il y a bien longtemps, assurent nos légendes, hommes et femmes pouvaient utiliser le Troisième Œil. C'était l'époque où les dieux venaient sur la terre et se mêlaient aux humains. Les hommes se voyant déjà leurs successeurs, essayèrent de les tuer, sans penser que ce que l'homme pouvait voir, les dieux le voyaient encore mieux. En punition, le Troisième Œil fut fermé. Depuis, au cours des siècles, une minorité a reçu à sa naissance le don de clairvoyance. Ceux qui l'avaient naturellement ont pu avoir son pouvoir multiplié par mille, grâce  à un  traitement  approprié,  comme celui qui m'avait été appliqué. Il va de soi qu'un talent aussi particulier doit être traité avec précaution et respect.

    Le Père Abbé me convoqua un jour. — Mon fils, me dit-il, tu possèdes maintenant un pouvoir qui est refusé au plus grand nombre.

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    Ne t'en sers que pour le bien, jamais à des fins égoïstes. Quand tu seras dans les pays étrangers, des gens exigeront de toi que tu te conduises comme un illusionniste dans une foire ; ils te diront : Prouve-nous ceci, prouve-nous cela. Mais je te le dis, mon fils, il ne faudra pas leur obéir. Ce talent t'est donné pour aider ton prochain, et non pour t'enrichir. Il te sera beaucoup révélé par la Clairvoyance mais quoi que tu puisses apprendre, tu ne devras en faire part à personne, si tes paroles peuvent provoquer la souffrance de ton prochain ou changer le Chemin de sa Vie. Car l'homme, mon fils, doit choisir son propre Chemin. Dis-lui ce que tu veux, il n'en suivra pas moins sa route. Aide ceux qui sont malades, et ceux qui sont malheureux, mais ne dis rien qui puisse changer le Chemin d'un homme.

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